Retranscription podcast
[Musique Jazz, personnes discutant et riant en arrière-plan] Narratrice : Achille était un jeune homme conquis. Cette semaine, la belle qu’il aimait tant avait enfin remarqué son attrait, et lui avait proposé de la rejoindre pour festoyer avec les autres. Il avait passé la semaine à préparer cette soirée : il avait trouvé sa tenue, celle qu’il fallait : une grande toile blanche et une ceinture de lauriers. Il s’était fait coiffer, raser et parfumer. Il était prêt pour conquérir. La fête était grande et belle, tout le monde était là. Antigone aussi. Achille et sa prétendante valsaient ensemble à travers les faisceaux de lumière, au rythme des sonorités. Le temps était à l’arrêt. Leurs yeux s’embrassaient, leurs bouches se lorgnaient et leurs mains s’inséraient les unes avec les autres. Antigone et Achille, ensemble. Leurs bouches s’ouvraient à mesure que leurs yeux se fermaient, le moment fatidique approchait. [Battements de cœur, les sons en arrière-plan disparaissent laissant place à un acouphène, la voix de la narratrice accélère…] Narratrice : La belle dans sa flamme saisit soudainement Achille par le cou et l’embrassa tendrement. Il était crispé et tendu. Dans sa tête, c’était déjà terminé. [Acouphène sourd et strident] Brutalement projeté dans un violent souvenir dont il se protégeait, il se retrouvait pris aux griffes de son père incestueux. [Sons de la soirée qui reviennent soudainement] Narratrice : Il s’extirpa d’un coup, l’air hagard, paniqué. Dans un mouvement saccadé, il saisit son sac et se dirigea dans un sanglot silencieux vers la sortie. [Une porte claque, on entend des pas sur le sol et une musique d’ambiance angoissante] Narratrice : Ivre, déboussolé, en proie à ses démons les plus virulents, Achille fuyait dans une solitude et un désespoir qui effrayait même la pénombre. Alors qu’en partant il réalisait que les éclats de la fête n'étaient que les masques d'une réalité insurmontable et violente, il fut empli d’un sentiment puissant, comme s’il implosait. Sa douleur battait en cadence avec les battements d'une nuit endormie. Tout allait sortir. Il devait penser à autre chose. [Pas titubants du jeune Achille et musique d’ambiance angoissante de plus en plus présente] Narratrice : En marchant, il se disait que les lumières de la ville étaient à l’image de nos vies : faussement utiles, résolument énergivores et transpirantes de tristesse. Il n’allait probablement pas mieux, mais au moins il se calmait. La vue brouillée, l’air égaré et les pieds emmêlés, Achille rentrait chez lui tant bien que mal sur le long sentier qui le séparait de la fête, la fille et son refuge. Alors que son chemin croisait le petit pont derrière le cimetière baigné dans un clair de lune et un brouillard épais, chacun de ses pas résonnait comme un soupir dans le silence complice de la nuit. Une pierre, comme surgie de l’ombre, qui laissait refléter la lune sur ses angles tranchants, se joua du jeune homme hébété. La chute, aussi brutale qu’un silence déchiré par un cri d’agonie, l’arracha à sa torpeur. Peut-être avait-il trop bu, paralysé par la douleur il se retrouvait sur le sol, le pied tremblant, saignant, sectionné au talon. Au moins, il avait mal pour de vrai. [Accélération de la musique et de la voix de la narratrice] Narratrice : L’alcool avait réussi son effet, et s’était mis à valser avec la tristesse. Achille avait réussi à se ressaisir pour retourner chez lui. Sur la route, au fil des pavés de bonne circonstance, il profitait de la pluie qui tombait pour vérifier l’état de son pied dans le reflet des flaques. [Bruit de pluie] [Porte qui claque et bruit de la pluie tapant à la fenêtre, orage au lointain] Narratrice : À l’abri, lavé, soigné, au chaud dans ses draps avec sa pipe d’opium et son spleen, Achille soufflait enfin. Mais il songeait encore. Le regard vide, posé sur un ciel noir qu’un orage tourmentait désormais. Comme si le monde et lui étaient unis dans leur torture. Enfin il se sentait en phase. [Bruit de tonnerre] Narratrice : Alors, aussi soudainement qu’un éclair déchirait les ténèbres, Achille s’endormit, bercé par la mélodie du chaos dans la nuit. [Musique qui s’amenuise et pluie]